Journée de solidarité avec le Cachemire

Beaucoup, en ce 5 février, vaquent à leurs occupations quotidiennes. Pour certains, à moins de mille kilomètres d’Islamabad, c’est un jour de plus sous le joug d’une oppression implacable, un jour marqué par la tristesse et la résistance — deux émotions puissantes, ignorées par les grands empires du passé.

Peu de gens auraient pu imaginer à quel point la spirale de violences commises au Jammu-et-Cachemire illégalement occupé par l’Inde (IIOJK), en particulier depuis la fin des années 1980, allait se dégrader par la suite. La perte de dignité et la faillite des principes propres aux sociétés civilisées ont pris une tournure alarmante ces dernières années.

Et pourtant, les Cachemiris ne se sont pas laissés intimider. Le black-out des médias, la suspension de la vie politique, les arrestations de journalistes n’ont eu aucune emprise sur eux, de même que les enlèvements et les disparitions, les violences sexuelles, l’exil des Cachemiris en Inde et le refus d’accorder des obsèques à ceux qui ont été assassinés. Cela a eu l’effet inverse, les rendant plus forts, incitant les nouvelles générations à se battre. Chaque pas, chaque mesure, chaque indignité quotidienne infligée aux Cachemiris n’a fait que renforcer leur résistance.

La banalité de la cruauté cautionnée par l’État à l’encontre des Cachemiris est telle que même des adolescents fans de cricket ont été inculpés en vertu de la législation antiterroriste draconienne pour avoir soutenu le « mauvais » camp. Peut-on imaginer un seul instant que quelqu’un, en Grande-Bretagne par exemple, soit arrêté en vertu de lois antiterroristes pour avoir encouragé une équipe de football européenne ? C’est tout simplement absurde.

Non content d’opprimer les Cachemiris, le gouvernement de Narendra Modi a transposé ce modèle de brutalité et d’intolérance — une sorte de laboratoire d’expériences cruelles — avec une ferveur toute religieuse aux musulmans vivant pacifiquement en Inde, brisant leurs rêves de sécurité et d’égalité dans une société réputée laïque. Ils se retrouvent face à ce miroir cassé, à se demander ce qui adviendra d’eux.

Pour les fanatiques de l’hindutva (hindouïté), le crime des Cachemiris n’est pas seulement de vouloir exercer leur droit à l’autodétermination dans le respect de la dignité humaine, mais aussi d’être musulmans. Face à la montée de l’extrémisme en Inde, le sort de la population cachemirie sous occupation

constitue un indicateur effrayant d’un futur proche pour les musulmans de l’Inde.

Quel espoir pour les Cachemiris lorsque des horreurs sont infligées à d’autres musulmans en Inde ? Pourtant, la détermination et la résistance du peuple cachemiri pourrait bien former l’étincelle qui finira par renverser la montée du fascisme en Inde.

L’IIOJK pourrait se retrouver au cœur de la lutte contre le fascisme et le racisme, à l’instar du ghetto de Varsovie. C’est pourquoi les revendications des Cachemiris ont pris une toute nouvelle tournure. L’IIOJK, face au Goliath hindutva, peut s’attendre à ce que cette répression brutale, confiant dans son bon droit, peut et va faire un faux pas.

Beaucoup d’Indiens s’inquiètent de la trajectoire de leur pays et de ce que l’avenir leur réserve. Ils préfèrent faire profil bas et suivre le mouvement, tout comme de nombreux Allemands pendant l’entre-deux-guerres, incapables d’imaginer le prix que l’Allemagne devrait finalement payer. L’histoire ne jugera pas non plus avec bienveillance les partenaires étrangers qui détournent le regard ou, pire encore, qui accueillent à bras ouverts un régime fasciste au nom d’intérêts économiques et stratégiques.

Le fait que l’Inde siège au Conseil des droits de l’homme et dispose d’un siège temporaire au puissant Conseil de sécurité de l’ONU, compte tenu de son effroyable bilan en matière de droits de l’homme au Cachemire, est une parodie de justice. L’Inde, qui prétend avec désinvolture être la plus grande démocratie du monde, est tout sauf cela, compte tenu des violences qu’elle a infligées à un peuple qu’elle continue de revendiquer comme partie intégrante de la société indienne. Quel pays ferait souffrir ses propres citoyens (désignés comme tels par l’Inde) de la sorte pendant des décennies ? Pourquoi l’Inde voudrait-elle tuer des enfants indiens ? Au fond, il est évident que les Cachemiris n’ont jamais été considérés comme des Indiens par New Delhi et que le traitement qui leur est réservé est typique d’une cruelle puissance occupante.

Il est clair qu’une solution militaire durable n’est et n’a jamais été envisageable. Au lieu de cela, l’Inde s’est lancée dans une stratégie visant à dissoudre l’identité cachemirie, en s’inspirant d’une politique de colonisation éhontée, mais vouée à l’échec. Personne ne pourra échapper aux horreurs communautaires probables qui s’ensuivront. Un tel endroit ne connaîtra ni le bonheur, ni la paix, ni la sécurité ; il ne pourra pas prospérer. Inutile de rappeler les sombres années de l’apartheid en Afrique du Sud.

On peut tisser avec le fil de l’illusion de belles histoires de développement, de prospérité et même de démocratie et de droits de l’homme. Si la dignité humaine est ignorée, tout cela sonne faux. La dignité humaine est au cœur de l’autodétermination du peuple cachemiri : chacun a le droit de décider de son propre destin. L’Inde, quoi qu’elle fasse, ne pourra jamais éteindre cette flamme humaine porteuse d’espoir. C’est pourquoi le 5 février est un jour important. Un jour de souvenir, de courage, de sacrifice et de résilience.

(Par Farukh Amil)

Ancien ambassadeur et représentant

permanent auprès de l’ONU à Genève

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